Pourquoi une parcelle aux murs à pêches ?


Après plusieurs mois de discussion avec la municipalité et quelques visites sur les lieux, une convention d'occupation à titre précaire était enfin signée durant l'été 2011, Rêve de Terre investissant officiellement les lieux pour une durée minimale de trois ans renouvelables trois fois par tacite reconduction. Figurent dans cette convention le contexte et les raisons qui justifient l'utilisation du lieu dans l'objet de l'association (existante depuis 2005, soit six ans avant) en cohérence avec ses objectifs au sein d'un projet agriculturel plus vaste.
Il y est en effet rappelé qu'à la suite des recommandations de la commission extra-municipale de 2009, la Ville "souhaite favoriser les fonctions de production agricole, de promotion du lien social, de sensibilisation aux enjeux environnementaux, de protection de l'environnement et de valorisation du patrimoine montreuillois." Il y est stipulé également que la convention doit permettre à Montreuil-aux-Pêches de mettre en place une première phase de son projet, c'est-à-dire de "tester la mise en oeuvre d'un premier projet agri-urbain dans un contexte préparatoire à un projet plus large".
Ceci explique notre acceptation d'usage d'une parcelle comportant pourtant deux contradictions de taille : un taux important de pollution des sols aux métaux lourds (établi par la Direction Régionale de l'Agriculture et de la Forêt), ainsi que le statut d'Espace Boisé Classé de la parcelle. Il semblait donc hors de question de cultiver (à fortiori des légumes biologiques), pourtant l'un des objets principaux de Rêve de Terre... De plus, la parcelle, dès les premiers jours de notre arrivée, subira et subit encore nombre de dégradations, vols de matériel et marques d'incivilité jusqu'à l'agression, qui se révèleront l'obstacle majeur à la poursuite de nos objectifs.

Inversement, la conversion de Rêve de Terre à la permaculture (celle-ci représentant désormais beaucoup plus qu'une suite de techniques agroécologiques), lui fournira la possibilité de transformer les obstacles en avantages : les techniques de l'agroforesterie (association de graminées ou de céréales et d'arbres) et de dépollution des sols par les plantes (comme l'osier, "aspirateur à plomb") permettant de contourner la difficulté. De plus, la présence de métaux lourds n'empêche pas la culture (autorisée) de légumes-fruits, de fleurs ou d'arbres fruitiers. Enfin, la permaculture utilise des techniques idéales prenant en compte la spécificité de petites surfaces (par le zonage), quand on sait par exemple que les micro-zones polluées aux métaux lourds, lesquels se concentrent mais ne voyagent pas, peuvent également voisiner avec des micro-zones totalement vierges.

Pourquoi le Jardin Forestier ?


Parallèlement à nos engagements conventionnels (maintenance des lieux, accueil public régulier, manifestations diverses), nous avons donc proposé un aménagement permaculturel de l'ensemble des 1682 m2 de la parcelle, progressivement depuis la rue Saint-Antoine jusqu'au fond, en fonction des trois grandes zones séparées par un mur de refend. La première partie (environ un quart de la surface totale), la dernière cultivée,porte encore la mémoire du potager qu'elle abritait il y a une dizaine d'années encore, malgré la présence d'arbrisseaux et de quelques arbres. La deuxième partie, de surface équivalente, n'est envahie que d'une végétation proche du sous-bois. La troisième partie, beaucoup plus grande constitue le bois proprement dit, comportant une majorité d'arbres.
Le Jardin Forestier vise à créer, à une échelle modeste, une forêt nourricière, c'est-à-dire un espace boisé comestible selon les principes de la permaculture. La nature faisant mieux que nous, il s'agit, non de la dominer, mais au contraire l'aider à produire l'abondance naturelle. Plutôt que de détruire, nous plantons. Plutôt que de subir, nous transformons, comme ce symbolique remblai anti-caravane encadré de deux grands fossés à l'entrée de la parcelle, que nous avons transformé en butte productrice de blés paysans, rebaptisée pour l'occasion le remblé ! Comme ces trois buttes, séparées par un sentier en spirales, le Triskell, entièrement constituées en lasagnes de compost et de branches provenant de la parcelle.

Présence


Nous ne nous rendons pas compte de l'enjeu que représente une telle incongruité au centre géographique d'une ville de plus de cent mille habitants, au centre d'une mégalopole toujours tentaculaire ! Il ne s'agit pas seulement de contribuer à la préservation d'espaces plus ou moins naturels du patrimoine -déjà exceptionnel- des murs à pêches de Montreuil. Il s'agit de maintenir, voire de développer autant de petites Zones A Défendre, espaces de résilience (au sens du mouvement des villes en transition, application de la permaculture) face à la sixième grande extinction des espèces, cette fois-ci causée par l'Homme de l'anthropocène.
Notre présence, fragile et incertaine est un modeste acte de résistance dans lequel, tel le colibri de la fable, nous faisons notre part.